L'ouvrier tirait sur ces fouillis et ces tas de feuilles accumulés par le temps, entre la terre et l'humus qui s'étalait au sol. L'ouvrier transpirait, ces vêtements étaient souillés d'humidité qui semblaient lui peser. C'était un dur labeur, mais il savait qu'au fond de cet acharnement, sa maigre paye l'attendait. Celle-ci pourrait faire vivre sa famille, ou plutôt survivre car les temps étaient durs. 1867, déjà, Napoléon III, de sa main impartiale étendait, tel son ascendant, Napoléon Ier, son empire par d'affreuses guerres. L'ouvrier, lui travaillait et mettait loin, très loin dans son esprit ces victoires à la française. Ce qui l'importait c'était de voir grandir ses enfants comme ses parents l'avaient vu grandir, sous la monarchie constitutionnelle, au temps du beau Philippe d'Orléans.
La terre se mouvait énormément au passage de son terrible râteau qui grattait ce sol dur comme le marbre. L'ouvrier y mettait du coeur, c'était pour lui sa tâche principale, sa tâche quotidienne. C'était une vraie oeuvre d'art qu'il s'ingéniait de réaliser. Pourtant il ne s'intéressait point à la culture, cela ne l'importait pas, il s'en fichait éperdument. Pour lui, rien ne valait l'éducation de son enfance : dure, sèche, stricte, impitoyable, carrée et droite. Il en était devenu un homme de travail, un ouvrier, payé, de peu, mais cela permettait d'assouvir quelque peu son existence. Sa femme, chaque jour, languissait dans cette pauvre chaumière que le couple avait acheté, une dizaine d'années auparavant, pour quelques louis. Ces louis avaient été amassés durant de nombreuses années, mais enfin, ils avaient de quoi se loger et c'était leur principale récompense. Ses fils, Anatole et Albert fréquentaient l'école communale de leur petit village de St Ray. Il y faisait bon vivre et le coin restait calme tout le long de l'année.Mais l'ouvrier n'était pas seul, non, ses collègues étaient même très nombreux. Même rituel chaque jour : les ouvriers s'éveillaient chez eux, s'habillaient et partaient sans même prendre une collation de peu que leur infâme patron, propriétaire d'une grande exploitation de légumes et de fruits, ne les sanctionne d'un moindre retard. Cinq minutes étaient facturées, comme cinq semaines d'exclusion, après quoi ils pouvaient venir mais si cela se reproduisait, ils étaient définitivement renvoyés à vie. A six heures donc, les ouvriers envahissaient l'entrée de l'usine de travail et pointaient aux machines prévues à cet effet, ensuite ils s'engouffraient puis émergeaient dans les terres, tel un péage. Sous un soleil de plomb souvent, car en ce pays il faisait souvent très chaud toute l'année, les ouvriers réalisaient toutes sortes de tâches agricoles fastidieuses avec des moyens de l'époque, donc absolument archaïques.Outre ces manières surgissant du diable lui même, le pays vivait très bien de cette exploitation. En effet, l'ingrat patron offrait de merveilleux postes pour la région qui n'était alors que très pauvre industriellement à cette période.
C'est ainsi que chaque ouvrier, par la sueur de leur front, dépourvus de collations, d'eau, travaillaient dans des conditions grotesques et impartiales pour vivre. Mais toujours, toujours, dans leurs petites têtes peu évoluées culturellement, ils portaient un vif intérêt à recevoir le fruit de leur labeur et de rien d'autre. Ils auraient pu refuser une donation, ce qu'ils voulaient à tout prix, c'est vivre raisonnablement, sans aucune escroquerie. Vivre honnêtement, simplement.